Le soulèvement des Irlandais

Dans un décor enchanteur et intime.

Plusieurs ouvriers irlandais travaillant au creusage du canal Beauharnois ont perdu la vie dans des circonstances tragiques, le lundi 12 juin 1843, face au Manoir Grant à Saint-Timothée.

Les ouvriers ont péri sous les balles des soldats anglais alors qu’ils assistaient à une manifestation regroupant environ 1000 d’entre eux venus réclamer, auprès des magistrats George Crawford et Jean-Baptiste Laviolette, de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés.

On établit officiellement à six le nombre de morts, mais il appert, selon les témoignages entendus, qu’il fut beaucoup plus élevé. Pris de panique, les travailleurs auraient tenté d’échapper aux balles des soldats puis aux coups de sabre de la cavalerie en s’enfuyant de tous côtés. Certains se seraient même jetés dans les rapides. L’infanterie aurait ensuite fouillé les broussailles pour trouver les ouvriers pouvant s’y cacher.

C’est le magistrat Laviolette qui aurait donné l’ordre de tirer au major Campbell qui dirigeait les troupes, quelques minutes seulement après avoir lu l’Acte d’Émeute (Riot Act) interdisant de se coaliser. Il semblerait que la foule ne faisait que passer et repasser devant le Manoir Grant et qu’elle n’avait fait aucune tentative d’avancer sur la troupe. L’aumônier des Irlandais, le révérend John Falvey, était présent sur les lieux.

Comme on sait, craignant des affolements semblables à ceux survenus au canal de Lachine, les magistrats Laviolette et Crawford avaient demandé et obtenu la protection d’une cinquantaine de soldats du 74e Régiment puis celle de la cavalerie des Queen’s Light Dragoons.

Le jour précédent l’événement, les travailleurs s’étaient rendus afin de rencontrer les soldats qui logeaient au moulin de Stephen May, situé sur le bord du fleuve St-Laurent, à la hauteur de l’actuel barrage de Saint-Timothée, pour leur signifier qu’ils se coaliseraient et que, s’ils n’avaient pas gain de cause, ils assommeraient les entrepreneurs. Ils auraient dit de ne pas sortir pour protéger les entrepreneurs parce qu’ils étaient en trop petit nombre pour s’opposer à la grande force qu’ils pouvaient déployer.

Le matin du 12 juin, les ouvriers, par centaines, sont allés soutirer des deux entrepreneurs la promesse d’augmenter leurs salaires, avant de se regrouper devant le Manoir Grant où a eu lieu la fusillade. À une quarantaine d’arpents de l’endroit, d’autres manifestants pillaient le magasin d’un des entrepreneurs, un dénommé McDonald.

Mentionnons que les magasins appartenaient aux entrepreneurs qui obligeaient les ouvriers à s’y approvisionner. Plusieurs soustrayaient de la paie des ouvriers, à la fin du mois, le montant qu’ils y avaient dépensé en denrées.

Les ouvriers voulaient être libres d’acheter leur nourriture des cultivateurs. Ils réclamaient de travailler 12 heures et non pas 14 ou 16 comme c’était devenu le cas et ils demandaient d’être payés trois chelins (0,60$) par jour plutôt que deux chelins et demi, n’oeuvrant en moyenne que 12 jours par mois à cause de la température. Mentionnons qu’ils devaient payer leurs logements (des logettes de bois, de 12 pieds par 12 pieds, appelées « shanties » pouvant abriter de 10 à 12 personnes) alors que ceux-ci devaient être fournis, la première année, par les entrepreneurs.

Les ouvriers réclamaient en fait les conditions prévalant lors de leur embauche, avant que la supervision des travaux ne passe des mains du gouvernement à celles des entrepreneurs privés.

Après les événements sanglants du 12 juin 1843, une Commission d’enquête a été instituée et, le verdict rendu à l’endroit de Jean-Baptiste en a été un « d’homicide justifiable ». Des recommandations ont cependant été faites concernant les conditions de vie des travailleurs irlandais.